Monsieur Zemmour, le 2 février dernier, en vous adressant au syndicat de police Alliance, vous avez déclaré : « Votre temps est surchargé de travail, de paperasse, je pense qu’il faut donc revenir à des procédures beaucoup plus simples, beaucoup plus simplifiées où il n’y a pas l’avocat à tous les instants, où les droits de la défense n’encombrent pas exagérément vos enquêtes. »
Ainsi donc, selon vous qui êtes candidat à la Présidence de la République française, les avocats seraient trop présents dans la procédure pénale et encombreraient exagérément les enquêtes.
D’où cette question : Y aurait-il trop d’avocats en France ? C’est ce que je me dis parfois quand, dans la salle des pas perdus du tribunal, j’attends mon tour d’audience, conscient que je passerai après mes confrères venus des barreaux extérieurs et après ceux qui ont plus d’années de barre que moi au compteur. Je me prends à rêver d’exercer en Chine car là-bas mes confrères ne sont que 130.000 pour 1,4126 milliard d’habitants, soit un ratio de 1 avocat pour 10 631 habitants (contre 1 avocat pour 1073 habitants dans notre pays), alors que là-bas les dossiers ne manquent pas (droits de l’homme, peine de mort, droits civiques, pollution, multiplicité des normes locales et nationales). Sans même aller jusqu’à défendre les tibétains ou les Ouïgours, il n’y a que l’embarras du choix. Et si l’avocat ne convient pas au régime communiste, comme c’est le cas pour Yu Wensheng, il suffit de l’emprisonner car aucun de ses confrères, même talentueux, ne sera capable de le faire libérer. Ainsi dans ce pays idéal, les droits de la défense sont réduits et ne peuvent donc plus nuire à la bonne marche de la justice.
Vous trouvez qu’en France les avocats sont trop présents dans la procédure pénale ? Au cas où cela vous aurait échappé, le juge et l’avocat sont les garants du respect des libertés et du droit, je comprends que cela embête. D’ailleurs si l’avocat encombre la procédure, c’est plutôt en démocratie, un peu moins ailleurs. Si cela peut vous rassurer, à mon modeste niveau, lorsque je me retrouve à assister un client en garde à vue, je suis parfois tenté de me dire que je ne sers à rien. Un client que j’ai vu au préalable dans les geôles du commissariat ou de la gendarmerie (maximum 30 mn), que j’ai pris le temps de rassurer et de calmer (bien que je n’ai pas eu accès au dossier), à qui j’ai expliqué la procédure (certains la connaissent déjà), avec lequel j’ai bâti une stratégie de défense, eh bien ce client ne m’a peut-être pas tout dit (alors que je suis son confident et que je ne peux rien révéler de notre échange) et il va être capable parfois (si, si) de faire exactement le contraire de ce qui avait été convenu. Et pendant l’audition qui suit l’entretien avocat (24 heures max, éventuellement renouvelable), il peut arriver qu’un enquêteur me rappelle que je ne peux intervenir qu’à la fin de l’audition pour poser une question (ou faire une observation), ce qui revient parfois à me sentir l’âme d’un pot de fleur. Et si par chance (ou par malheur) je découvre un vice de procédure, je vais me mettre à dos les enquêteurs, le procureur et les parties civiles pour l’éternité.
Reconnaissez tout de même que l’avocat peut être utile. Vous-même avez été amené à solliciter le concours de mes confrères qui vous ont aidé (j’espère avec brio) à exercer vos droits à la défense dans le cadre d’un procès juste et équitable, y compris devant la Cour européenne des droits de l’Homme (tiens ? l’Europe aurait donc une utilité ?). Concernant le lancement de votre campagne, peut-être aurez-vous besoin d’un confrère spécialisé en propriété intellectuelle (je peux vous donner des noms de confrères compétents et à un prix raisonnable). Alors je vous l’accorde, nous sommes parfois un peu chers et pas toujours efficaces. Moi-même qui vous écris, je n’ai pas toujours gagné mes procès et je serais bien en peine de vous donner le nom d’un confrère ou d’une consœur qui n’a jamais perdu un seul procès.
J’ai cru comprendre que vous vouliez également supprimer le juge des libertés et de la détention. Je ne vous cache pas que je ne suis pas toujours d’accord avec le JLD avec lequel je suis amené à croiser le fer (pardon, engager un débat contradictoire) afin d’empêcher la détention provisoire de mon client ou pour demander sa mise en liberté. Je ne me sens pas toujours écouté et mon client, lorsqu’il (re)part en détention sous escorte, peut m’en garder rancune. Pour autant, peut-on parler comme vous le faites d’un rôle néfaste du JLD ? Oui si vous considérez que la (re)mise en liberté est inutile et dangereuse, même lorsqu’elle se justifie. En ce qui me concerne, et pour tout vous dire, je n’aimerais pas être à la place du JLD. Mais vraiment pas et pour rien au monde. L’avocat plaide mais au final, c’est le JLD qui décide. S’il permet au mis en cause de rentrer chez lui jusqu’au procès et que ce dernier récidive, c’est la responsabilité du JLD qu’on ira chercher (moins celle de l’avocat). Si le JLD envoie le mis en cause en détention provisoire, on pourra considérer qu’il ne prend aucun risque (sauf peut-être un suicide en détention), mais il lui faudra vivre avec le doute et le sentiment qu’il aurait (peut-être) pu faire confiance.
Vous l’aurez compris, ce n’est pas en supprimant le JLD et en réduisant la place de l’avocat que vous aurez ma voix M. Zemmour. Mais je vous rassure, même sans cela vous ne l’auriez pas eue.
Jean-Luc BRAUNSCHWEIG-KLEIN
Avocat au barreau d’Avignon