Cet arrêt de la Cour de cassation concerne un contentieux autour de la question du port de la barbe, perçue en l’espèce par l’employeur comme l’expression de convictions religieuses et politiques.
Les faits
Un consultant en sûreté dans une entreprise de prestations de services dans le domaine de la sécurité et de la défense auprès de gouvernements, d’organisations internationales et d’entreprises privées a été licencié pour faute grave. Il lui est reproché le port d’une barbe « taillée d’une manière volontairement signifiante aux doubles plans religieux et politiques », ce qui aurait mis en péril la sécurité d’une mission au Yémen ou dans d’autres zones à risques.
L’employeur lui a demandé de « revenir à un port de barbe exclusif de toute connotation susceptible de remettre en cause la sécurité de la mission », ce qui selon lui n’allait pas à l’encontre du respect de la liberté religieuse. Le refus du salarié de « revenir à une barbe d’apparence plus neutre » justifie son licenciement selon l’employeur, ce que conteste le salarié pour qui le licenciement était en fait fondé sur un motif discriminatoire et devait donc être déclaré nul.
Le droit
Les juges du fond ont donné raison au salarié jugeant le licenciement discriminatoire (CA Versailles 27-9-2018 n° 17/02375). L’employeur se pourvoit en cassation.
La chambre sociale de la Cour de cassation rappelle d’abord le principe général en matière de respect de la liberté religieuse par l’employeur et les restrictions qu’il peut y apporter et étend ce principe au cas du port de la barbe.
Ainsi, les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et être proportionnées au but recherché.
Selon l’article L 1321-3, 2° du Code du travail, une telle restriction peut être prévue par une clause du règlement intérieur sous réserve de respecter ces principes.
Un employeur peut donc prévoir dans le règlement intérieur de l’entreprise ou dans une note de service une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, dès lors que cette clause générale et indifférenciée n’est appliquée qu’aux salariés se trouvant en contact avec les clients.
En l’espèce, l’employeur ne produisait aucun règlement intérieur ni aucune note de service précisant la nature des restrictions qu’il entendait imposer au salarié. Dès lors, l’interdiction du port de la barbe constitue pour la Cour de cassation une discrimination directement fondée sur les convictions religieuses et politiques du salarié.
En l’absence d’une clause dans le règlement intérieur, une restriction à la liberté religieuse comme l’interdiction du port de signe religieux ne peut être justifiée que par une « exigence professionnelle essentielle et déterminante. » Selon la Cour de cassation, cette notion « renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause. Elle ne saurait, en revanche, couvrir des considérations subjectives, telles que la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits particuliers du client ».
L’objectif légitime de sécurité du personnel et des clients de l’entreprise peut justifier en application de ces mêmes dispositions des restrictions aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives et, par suite, permet à l’employeur d’imposer aux salariés une apparence neutre lorsque celle-ci est rendue nécessaire afin de prévenir un danger objectif, comme par exemple lorsque le port de la barbe empêche l’étanchéité du masque de sécurité.
Il est donc possible pour l’employeur d’imposer une restriction à la liberté religieuse au nom d’un impératif de sécurité, notamment en lien avec le port de la barbe, à la condition qu’il démontre en quoi cette restriction est nécessaire pour prévenir un danger objectif.
En l’espèce, l’employeur n’a pas démontré les risques de sécurité spécifiques liés au port de la barbe dans le cadre de l’exécution de la mission du salarié au Yémen pouvant justifier une atteinte proportionnée aux libertés du salarié.
Cass. soc. 8-7-2020 n° 18-23.743 FS-PBRI