07.89.78.21.88. Urgences pénales et droit du travail - 04.32.76.30.18.

Réunion hebdomadaire du comité de direction d’une PME industrielle. Le directeur général a mis à l’ordre du jour du comité le thème « liberté d’expression au sein de l’entreprise ». Depuis plusieurs semaines, la fébrilité gagne les instances dirigeantes. Le directeur des systèmes d’information (couramment appelé le « DSI ») a fait remonter au directeur général (M. FROIDEVANT, dit le « DG ») des propos concernant l’entreprise qui fleurissent sur les réseaux sociaux et autres blogs de salariés frustrés ou en mal de notoriété. Le directeur d’exploitation de l’usine (M. LUSINE dit le « DEX ») se plaint de propos dénigrant l’organisation du travail tenus lors des réunions d’exploitation. Le DRH M. AIRACHE est sur la sellette. Il lui a été demandé de vérifier la possibilité de lancer des mesures disciplinaires pour l’exemple.

DG : ces pratiques de dire tout et n’importe quoi n’importe où et n’importe quand doivent cesser car elles font chuter la productivité. LUSINE, parlez-nous de votre dernière réunion d’exploitation.

LUSINE (remonté) : eh bien figurez-vous que notre chef de quart M. DORANGE s’est permis de critiquer l’organisation et le fonctionnement de l’entreprise.

DG : et qu’a t-il dit plus précisément ?

LUSINE (toujours aussi remonté) : eh bien que la logistique ne suivait pas et la maintenance non plus, et que c’était difficile de produire dans ces conditions.

DRH : c’est tout ?

LUSINE : comment ça c’est tout ? Mais c’est déjà énooooorme

DRH : je ne vois pas ce qui empêche un salarié d’émettre ce type de critique. Il n’y a pas mort d’homme. En cas de mesure disciplinaire la sanction sera considérée comme injustifiée.

LUSINE : Injustifiée ? Comment ça injustifiée ? pour moi il faut le licencier, sinon c’est la mort du petit cheval.

DRH : eh bien le licenciement sera considéré comme abusif

LUSINE : et la pétition qu’il a signée pour demander du personnel supplémentaire ?

DRH : pareil

LUSINE (à court d’arguments) : et je l’ai entendu parler religion et politique sur son lieu de travail. Un ouvrier catholique qui vote Mélanchon, vous vous rendez compte ?

DRH : pareil. On parle de ce qu’on veut entre collègues, à la cantine ou dans les vestiaires. Je rappelle le principe : le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression (Cass. soc. 14/12/1999 n°97-41.995 ; Cass. soc. 22/06/2004 n°02-42.446 F-P ; Cass. soc.21/02/2007 n°48-41.760 ; Cass. soc. 27/03/2013 n°11-17.734 FS-PB  )

MM. LUSINE et FROIDEVANT (dépités) : mais c’est à désespérer !

DRH : à moins…

MM. LUSINE et FROIDEVANT : à moins ?

DRH : à moins d’exprimer des injures, calomnies, diffamation… des termes excessifs tenus en public. Dans ce cas l’abus sera caractérisé et je pourrai exhausser votre vœu le plus cher…

MM. LUSINE et FROIDEVANT (suspendus aux lèvres du DRH) : mais bon sang, donnez-nous des exemples

DRH (doctoral) : je ne sais pas moi, des accusations mensongères formulées avec l’intention de nuire (Cass. soc. 07/10/1997 n°93-41.747), des courriels mettant en cause l’honnêteté du dirigeant (Cass. soc. 29/04/2009 n°07-44.798 F-D) ou des propos portant atteinte à l’image de l’entreprise et à l’autorité et la réputation d’un supérieur hiérarchique publiés sur un réseau social ouvert à un large public (CPH Boulogne Billancourt 19/11/2010).

DG : M. le DSI, vous allez me faire quelques  contrôles sur les outils informatiques de nos salariés les plus vindicatifs

Le DSI ne bouge pas et reste coi. Il lance un regard fuyant vers le DRH.

DRH : oulala M. FROIDEVANT, comme vous y allez, on ne peut pas faire ça comme ça, sans prévenir, laissez-moi d’abord boucler le projet de charte informatique avec le DSI.

DG : M. AIRACHE, c’est un plaisir de travailler avec vous, trois pas en avant, deux pas en arrière…  Comment voulez-vous faire du business avec des salariés à qui on accorde la liberté d’expression et un DRH qui voit le mal partout ? Moi si ça continue je vends tout, je range les billets dans deux valises et je file m’installer en Suisse.

Et basta !

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